Eduquer, responsabiliser

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Fiche de lecture

Humain avant tout

Dans un monde en perpétuelle transformation, sous le coup des accélérations de la technologie, il importe de ne pas perdre de vue les êtres à qui doivent profiter les progrès avant tout

Entrepreneur et expert du numérique, également membre de notre think tank, Guy Mamou-Mani est un optimiste. Pas béat pour autant, plutôt pragmatique, il n’a de cesse de placer l’humain au coeur de ses réflexions et de son action.

«Rien n’est vrai qui force à exclure». Citant Albert Camus, Guy Mamou-Mani met en lumière «le numérique humaniste» qui est «un numérique vrai». Pour celui qui a co-présidé pendant 20 ans l'une des premières entreprises de services du numérique française, Groupe Open, «il existe des solutions pour rendre le numérique pleinement inclusif, et donc pleinement vrai, et donc pleinement humain». Aussi, dans son nouvel ouvrage, «Pour un numérique humain - Les 8 conditions d’une transformation réussie», l’entrepreneur met en exergue 8 conditions qu’[il a] identifiées et développées sans lesquelles, en effet, le numérique risque de ne pas être un progrès».

Article par article, conversation après conversation, on le voit le débat sur le numérique est hystérique. Or, «c'est précisément pour dépassionner les débats et fournir les clés de compréhension minimales que j'ai souhaité écrire ce livre», note Guy Mamou-Mani.
Il en est convaincu : «Tout le monde doit disposer des moyens de se lancer. Restez sur la grève faute de planches, c'est être exclu». Pour lui, «oui, le numérique peut servir le pouvoir de vivre».

Du pragmatisme

«Je me souviens de l'arrivée de la calculatrice programmable dans les écoles, au tournant des années 70-80. J'étais alors professeur de mathématiques en lycée professionnel. Je n'ai pas interdit la calculatrice pour que mes élèves continuent de résoudre seuls des problèmes simples - je leur ai laissé la calculatrice et leur ai posé des problèmes impliquant le besoin de la calculatrice. Cette dernière n'était donc plus une «annexe» plus ou moins bienvenue, elle était au centre de ma démarche pédagogique puisqu'on ne pouvait pas s'en passer. Elle permettait de se concentrer sur le problème lui-même et la logique qu'il fallait adopter pour le résoudre sans se focaliser sur le calcul en tant que tel. C'est exactement la même chose avec l'IA générative et c'est ainsi qu'on crée de la valeur ajoutée et qu'on fait monter le niveau scolaire», constate Guy Mamou-Mani qui a présidé de 2010 à 2016 le Syntec Numérique (Numeum) et a été, de 2016 à 2017, vice-président du Conseil national du numérique.

Pour lui, il convient de ne pas «transiger sur les savoirs et savoir-faire de base. Le socle commun doit être maîtrisé par tous». La formation est essentielle. En effet, évoquant la vague de l’IA générative, il écrit que «plutôt que de prétendre, croire ou espérer qu'on arrêtera cette vague [...], il vaudrait mieux apprendre à la surfer». Effectivement, «le numérique nécessite un apprentissage; la culture numérique est une affaire de savoir mais aussi de règles et d'usage, c'est-à-dire de compréhension des enjeux à toutes les échelles». Pour lui, l'acculturation consiste à «rendre le citoyen maître du numérique». D’ailleurs, «empêcher les jeunes générations de le maîtriser par une instruction et une formation adéquate s'est fabriquer des zombies et des exclus».

«Si l'on essayait d'avoir une approche un peu plus rationnelle, un peu moins dans l'émotion et, il faut bien l'écrire, moins dans l'ignorance?» propose, dans la préface du livre, Antoine Petit, président du CNRS. Loin des postures, Guy Mamou-Mani propose en effet cette approche : prétendre «décoder le monde sans rien connaître au numérique c'est illusoire», note-t-il. «Je le dis sans ambages : les professeurs devraient être tenus de former leurs élèves à l'utilisation du smartphone en classe, au nom du titre III du socle commun de connaissances, de compétences et de culture à savoir «Les méthodes et les outils pour apprendre» qui couvre notamment «les outils numériques». En effet, selon l’entrepreneur, «la question du numérique à l'école, comme partout ailleurs, n'est pas tant une problématique technologique qu'un défi culturel». Aussi, «la finalité ultime n'est donc pas de maîtriser les outils en soi, mais de savoir comment ils fonctionnent et dans quel but ils peuvent être utilisés. Et ce, précisément, pour pouvoir les encadrer et orienter leur utilisation».

Pragmatique, il prend en compte l’ensemble des parties prenantes de la transformation qui s’opère. «Derrière le numérique, s'il y a des citoyens et des consommateurs dont il faut à tout prix protéger les intérêts, il y a aussi des entreprises, des employés. Il ne serait pas humain de négliger l'aspect économique de la question et de n'en considérer que l'aspect juridique, social ou philosophique».

De façon concrète, il met en avant la façon dont le numérique transforme nos vies et la façon dont nous pouvons l’appréhender. «C'est parce que le numérique est indispensable à la vie en société que de nombreuses initiatives, publiques et privées, ont vu le jour pour aider ceux qui ont le plus de difficultés à y accéder. Emmaüs Connect est l'une d'elles. L'inclusion numérique est un mouvement vers le numérique; Emmaüs Connect connaît bien ce mouvement en proposant des parcours d'initiation, des formations aux compétences numériques de base, des équipements à tarifs réduits, etc.»

Aussi, selon Guy Mamou-Mani, «pour appréhender vraiment ce phénomène et tenter d'en circonscrire les dimensions exactes, il faut chausser une double paire de lunettes: scientifiques et anthropologiques, techniques et civilisationnelles, économiques et culturelles. La main et le cerveau, mais aussi le cœur et l'esprit».

Responsabiliser

«Le numérique ne sera un progrès que si les individus et la société exercent pleinement leurs responsabilités», note le professeur en école de commerce et conférencier pour qui «si la responsabilité individuelle n'en est pas le «processeur», le numérique ne sera qu'un «supplément technologique», artificiel et, au fond, incontrôlable». Aussi, nous nous devons de prendre nos responsabilités. «Assumons notre responsabilité de parents et apprenons à nos enfants à assumer leurs propres responsabilités d'êtres humains». Il en va de même pour les entreprises. «Tout comme je les crois prêtes à relever le défi environnemental que représente la transformation numérique, je suis convaincu que les entreprises ne se détourneront pas de sa portée sociale et sociétale - et qu'elles agiront pour que le numérique soit réellement un progrès». Ainsi, «c'est au chef d'entreprise de prendre la barre car c'est à lui qu'incombe la responsabilité d'assurer la continuité de l'activité» mais aussi «la formation des formateurs et celle des informaticiens, programmeurs et développeurs». Autre protagoniste : l’État qui est le «dernier acteur dont la responsabilité doit être questionnée afin que le numérique soit réellement un progrès». Évoquant la problématique du cloud souverain, il note qu’elle est d’ordre «politique» et «non économique». «Nos responsables devraient se mobiliser pour favoriser l'émergence de solutions européennes de qualité, correspondant aux besoins des entreprises en mettant en œuvre des mesures d'encouragement et de soutien». Il évoque l’Australie, «l'un des pays les plus performants du monde en matière de compétences numériques des élèves notamment la maîtrise d'internet (planification d'une recherche, localisation d'informations sur un site web, évaluation de l'utilité des données et de la crédibilité des sources)». Il cite ainsi l’initiative du gouvernement fédéral «Digital Education Revolution» pour «préparer les étudiants à vivre et apprendre dans un monde numérique». Autre initiative porteuse : «l’encouragement à développer les partenariats entre les écoles et les acteurs de l'écosystème numérique: associations, ONG mais aussi... entreprises commerciales!»

«N'oublions jamais que ce numérique est conçu, et surtout utilisé, par des humains. C'est donc bien à nous de décider ce que sera le numérique de demain, et surtout quelle place nous voulons lui donner, il faut éduquer, responsabiliser et aussi ouvrir, favoriser l'innovation», relate Antoine Petit dans la préface. Aussi, Guy Mamou-Mani rappelle que «l'heure est donc à la mobilisation générale pour faire du numérique un progrès». Il convient de mobiliser non seulement du «temps» mais aussi «l'énergie des individus». En effet, «le numérique ne sera un progrès que si nous avons les compétences et les aptitudes à le rendre tel».

Au service de l’humain

«Ce sont des avatars d'agents publics qui accueillent les administrés, ou plutôt leurs propres avatars! Séoul s'est ainsi donné pour ambition de devenir une «ville émotionnelle du futur» où le numérique serait vraiment mis au service de l'individu dans toutes les composantes de son identité aussi bien sociale que civique en passant par sa dimension «sensorielle»». Pour Guy Mamou-Mani, «être inclus au monde numérique, c'est être inclus à la société et à l'humanité mais le numérique est aussi un canal d'inclusion». Aussi, il le rappelle : «de même que nous ne pouvons pas laisser les femmes étrangères au numérique, nous ne pouvons pas laisser le numérique étranger aux femmes». Aussi, L'école 42, «a vu son taux de candidates aux épreuves de sélection passer de 7% en 2017 à 46% en 2021, grâce à une politique de communication et de sensibilisation offensive».
Pour Guy Mamou-Mani, «le numérique peut être un progrès, c'est-à-dire qu'il peut être au service de l'humain, dans la longue tradition des évolutions techniques, sociale, sociétale et culturelle qui ont contribué à l'émancipation des individus, pris un par un et tous ensemble». Il participe à lutter contre «la fatalité de la souffrance au travail». Aussi, Guy Mamou-Mani propose de privilégier des domaines : «la santé, l'éducation environnement». Il s’agit là d’«innover pour permettre aux gens de mieux vivre, et de mieux vivre ensemble, c'est à la fois une mission exaltante et une œuvre sans fin».

:: Pour aller plus loin:

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