#DigitalTrends anti-fake news

#DigitalTrends anti-fake news

Compte-rendu et Replay vidéo de la rencontre du 9 décembre 2020

500 jours pour s’immuniser et lutter contre les manipulations de l’information

Liberté ? Egalité ? Fake news ! A 500 jours de l’élection présidentielle française, quatre table-rondes sur les enseignements des crises et des élections, l’engagement des médias, la mobilisation des pouvoirs publics et les nouvelles solutions réunissaient des chefs d’entreprises, des journalistes, des décideurs publics, des représentants de plateformes et des experts.

Le compte à rebours est bien lancé. Si candidats, idées et mouvements entendent déjà jouer un rôle dans la campagne pour l’élection présidentielle de 2022, d’autres protagonistes risquent bel et bien d’entrer en scène de manière fracassante : les fake news. En témoignent leurs portées considérables lors de la crise des gilets jaunes ou plus récemment pendant la campagne pour les présidentielles outre-Atlantique et dès les premières semaines de la pandémie. Documentaires, messages groupés, vidéos sont diffusés en nombre et s’immiscent dans notre vie démocratique. 

De plus en plus de bruit 

Si le phénomène des fake news n’est pas nouveau, il s’inscrit, à présent «à une autre échelle», décrypte le CEO de Dentsu Consulting, Benjamin Grange. «Crise après crise, élection après élection, le phénomène prend de plus d’ampleur» explique le président de La villa numeris, David Lacombled. Le directeur marketing de Storyzy, Pierre-Albert Ruquier, évoque, ainsi, «l’incroyable inflation» pendant la crise sanitaire, et cela dès les mois de février et mars. «Le terreau était là dans une société défiante des médias, des élites et des pouvoirs en place ». En confinement, «les gens se retrouvaient chez eux à chercher», rappelle Pierre-Albert Ruquier.

«Les acteurs de la désinformation sont, chaque jour, de plus en plus ingénieux» explique la Rédactrice en chef Europe  de NewsGuard Technologies, Chine Labbé, évoquant des campagnes «de plus en plus dures à détecter». En effet, celles-ci «visent à instiller le doute et à brouiller les frontières entre le vrai et le faux», à l’image de «nombreux sites partisans se faisant passer pour des sites d’information locales, plusieurs mois avant les élections présidentielles américaines». En outre, les contenus émis par «des myriades d’acteurs difficiles à repérer» évoluent dans l’objectif d’échapper «aux contrôles algorithmiques des plateformes». Elle souligne que «la suppression de certains contenus propulse ceux-ci vers des messageries privées». Aussi, pour le directeur général d’Aday, Jean-Frédéric Farny, il est important de «s’assurer d’où vient l’information». Il met en exergue «la mobilité et la portabilité» des fake news diffusées «passant par les réseaux sociaux et les systèmes de messagerie instantanées publics, semi-publics et privés». La suppression du contenu prévient, Arnaud Dassier, le directeur associé d’Avisa Partners, est «une stratégie tardive et parfois contreproductive car elle met en avant un narratif sur la censure». 

Avec les fake news pendant la crise sanitaire, on peut trouver «une distorsion de réalité», déplore la députée de Paris, Laetitia Avia évoquant «les séquelles dans la gestion de crise». Celle-ci a aussi lieu «dans la démocratie», notamment lors de l’élection de novembre aux Etats-Unis. Ainsi, la directrice des affaires publiques France et Russie de Twitter, Audrey Herblin-Stoop, rappelle qu’en 2016 «les opérations coordonnées et diligentées par la Russie qui passaient par du spam, de l’achat publicitaire et du micro-targeting». Twitter a décidé, en 2019, d’interdire la publicité politique ; «le reach politique doit se gagner pas s’acheter» relève Audrey Herblin-Stoop. 

Alors que l’échéance des élections présidentielles françaises approche à grand pas, Benjamin Grange rappelle «un principe de réalité ; les fake news et la désinformation feront partie de la campagne». «Les théories du complot ont gagné en popularité», relate Chine Labbé. Aussi, Pierre-Albert Ruquier, considère qu’ «il y a un marché de la désinformation qui est né et qui devient mainstream».

Des enjeux politiques

Évoquant les puissances étrangères manipulant les élections, David Lacombled souligne combien le numérique est «une arme informationnelle». Pour Benjamin Grange, «chaque fois, qu’il y a une fake news, il y a un enjeu de désinformation, de tromperie. Il n’ y a pas de fake news sans grand enjeu». Selon le CEO de Dentsu Consulting, nous sommes dans «une société de très grand stress, un terrain propice à la dissonance cognitive». Aussi, cela «permet, à tout un chacun, d’avoir une explication rassurante par rapport à la réalité qu’il vit». Le contexte est clé comme le rappelle Pierre-Albert Ruquier qui a suivi l’évolution de l’ «infodémie». Pendant la crise sanitaire, «certains en ont profité pour alimenter des théories diverses et variées. Selon lui, YouTube a été un vecteur très fort de ces théories du complot. Elles ont progressé tout au long des mois avec comme point d’orgue des documentaires quasiment devenus mainstream» à l’image du de «Hold-up» diffusé depuis 11 novembre 2020. 

«Ce que Donald Trump a fait subir à la démocratie est un cas limite. Les journalistes, par son attitude, sont pris en otage», considère le rédacteur en chef de «La Croix», Jérôme Chapuis. Pour lui, il n’est pas possible d’être un tiers de confiance «face à quelqu’un d’irresponsable qui s’attaque au cœur même de ce qui fait le processus démocratique. Donald Trump nous met face à nos limites». Aussi, pour le président du groupe Les Echos-Le Parisien et l’Alliance de la presse, Pierre Louette, «Donald Trump attaque ontologiquement le cœur de la parole publique. Il n’y a plus de vérité avec lui. Il a tenté d’“uberiser” la vérité, la subvertir et la détourner ». 

«Il y a des puissances étrangères malveillantes» souligne Benoit Thieulin, ancien président du Conseil national du numérique. Il y a une guerre de l’information menée par des Etats. Il doit y avoir des réponses de l’Etat». Pour Arnaud Dassier, «Quand l’Etat français est attaqué par des puissances étrangères, il faut revenir à des logiques de Guerre Froide et développer des mécanismes d’autodéfense. C’est une guerre qu’on peut gagner en ne se défaussant pas sur les réseaux sociaux».  Le temps est précieux. Aussi, Pierre-Albert Ruquier invite les équipes de campagnes des candidats à la prochaine présidentielle à «faire un monitoring très serré. Il faut pouvoir réagir extrêmement rapidement». Pour Arnaud Dassier, il est important de «dénoncer de manière régulière en mode guérilla ceux qui jouent aux limites des règles du jeu». 

Définir et expliquer

 «Strict équivalent de la rumeur, de la désinformation et de la propagande, la fake news mélange le vrai du faux» explique Pascal Froissard, enseignant-chercheur en communication au CELSA soulignant la difficulté de «tracer et mesurer la pénétration d’une fake news». Pascal Froissard est également le référent expert universitaire du Diplôme universitaire de Panthéon Sorbonne dont La villa numeris est partenaire.  Aussi, avec Donald Trump et ses fake news présentes en nombre, «on ne sait plus quel est le fait et quelle est l’opinion» souligne Benjamin Grange. La demande est grande dans un contexte où l’incertitude domine. «Le besoin de repères, de balises, d’ancrage, de propos référents auxquels on peut se fier au moment où il y a beaucoup d’inconnus» est bien là, rappelle le président du groupe Les Echos-Le Parisien et de l’Alliance de la presse, Pierre Louette. 

Pour Benjamin Grange, il est crucial d’agir en amont et de «travailler sur l’éducation personnelle pour avoir de la distance et du recul». Aussi, Laetitia Avia souligne le rôle joué par l’éducation et l’importance d’«apporter des mesures pour sensibiliser dès le plus jeune âge». Ce travail doit avoir lieu pour toutes les générations. Estelle Prusker, responsable de la spécialisation médias à Audencia, mène une réflexion avec ses élèves sur la mal-information. En introduction de la matinée, ceux-ci ont présenté l’étude réalisée en relavant que ce ne sont pas nécessairement les jeunes qui sont le publics les plus sensibles aux fake news. Ainsi, Judith Serruya, étudiante à Audencia explique que «les parents interrogés sont parfois plus inquiets pour leurs propres parents que pour leurs enfants». Audrey Herblin-Stoop, note, effectivement, l’importance de «toucher tous les âges sur le sujet de la désinformation en ligne». 

Le travail sur les sources est majeur comme le souligne Chine Labbé : «le tsunami de fausses informations a montré que les colporteurs d’intox sont des récidivistes. Il faut travailler sur les sources des fausses informations et sur leurs identifications». Pour elle, «il faut être très attentif à la légitimité des sources sur lesquelles on s’appuie». 

Évoquant les fake news prononcées par Donald Trump, Jérôme Chapuis explique que celui-ci «veut imposer son récit». Aussi, face à ces fake news qui ne cessent de se diffuser, le rédacteur en chef de «La Croix» explique la démarche adoptée par le journal : «on essaie d’être fidèle à notre ligne. On cherche à servir nos lecteurs qui nous font confiance. On expose les faits. Pour demeurer un tiers de confiance, il faut une forme de sobriété et d’humilité». 

Afin de favoriser un environnement plus sain, Reporters sans Frontières (RSF), en partenariat avec l’union européenne de radio-télévision (UER), le global editor network (GEN) et l’AFP, a lancé la «Journalism Trust initiative ». Celle-ci entend «favoriser les médias respectant les règles» explique le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. L’attention portée au média est grande alors que l’on a vu depuis la première vague les médecins divisés : «un des derniers piliers de certitudes parait vaciller un peu» relève Pierre Louette. Il précise la démarche mise en place par les rédactions du groupe qu’il préside : «on a essayé de proposer des clés et de simplifier le complexe. On renforcera la couverture sur la santé».  

La confiance est de mise. Aussi Audrey Herblin-Stoop partage la démarche du réseau social : «en matière de changement de nos politiques, on a décidé de donner du contexte. Un label a été mise en place sur des contenus qui propageaient des informations trompeuses ». Ainsi, lorsqu’un internaute clique sur un contenu trompeur, l’internaute est renvoyé vers des articles de presse expliquant pourquoi. Pendant les élections américaines ; environ 300 000 Tweets ont été étiquetés de la sorte. Il s’agit de «créer de la friction pour empêcher la viralité », note Audrey Herblin-Stoop. Le Retweet avec commentaire est mis en avant. 

Se mettre autour de la table

«Nous journalistes, nous ne sommes qu’un maillon face à cette énorme tâche que sont les fake news. Face aux mensonges industriels, nous ne pouvons pas rester seuls», considère Jérôme Chapuis. Benjamin Grange insiste sur l’importance d’ «avoir des alliés». Ceux-ci doivent être mobilisé en amont, rappelle-t-il. Directeur général d’Aday, Jean-Frédéric Farny explique que «la chaine de valeur part de la production de l’information jusqu’à sa diffusion. La dimension technologique est majeure. Aujourd’hui, la mise à disposition d’outils est cruciale». De nombreux acteurs ont aussi leur rôle à jouer. Le collectif est de mise. La secrétaire générale d’Hadopi, Pauline Blassel note l’importance de construire «une politique de régulation commune» face à «des contenus diffusés de manière rapide et virale». 

 Aussi, le secrétaire général de Reporters sans Frontières, Christophe Deloire, considère que «les élections américaines ont montré l’épuisement du modèle des plateformes numériques et l’irresponsabilité totale qui leur a été attribuée. Cela est un danger majeur. Il convient de leur imposer des responsabilités particulières». Et ceci, d’autant plus qu’ «on leur a délégué l’organisation de l’espace public», rappelle-t-il. Le secrétaire général de RSF souligne qu’il «faut imposer des obligations». 

Convoquant une réflexion d’une figure clé de nos imaginaires, Benjamin Parker, l’oncle de Spider-Man : «un grand pouvoir implique de grandes responsabilités», Pierre Louette, met en exergue les responsabilités des plateformes qu’il faut «définir et encadrer». La députée de Paris rappelle qu’ «il faut une prise de conscience au niveau de la société», considérant qu’«il est important que l’activité des plateforme ne mette pas en avant les contenus pouvant avoir un effet dévastateur». 

Le directeur des relations institutionnelles et des politiques publiques de Google France, Benoit Tabaka, évoque, de fait, la réflexion menée «pour un retrait efficace de ces contenus et faire remonter les autres contenus». Ainsi, Benoit Tabaka, relate les initiatives prises à l’image «des encarts», «des mises en avant d’information». Il s’agit de «faire remonter des informations fournies par des tierces parties faisant autorité. Pendant un attentat, le ranking change, les contenus qui font autorité remonte en premier». 

Avec Facebook comme «principale agora», note Pierre Louette, il est important que les plateformes «renforcent les mesures de surveillance». Aussi, évoquant les modérateurs, il suggère que ceux-ci aient un statut. Autre protagoniste, l’Etat. «Il doit s’assurer que l’ordre public s’applique partout. Il faut s’assurer que l’ensemble des plateformes mettent en œuvre les lois», considère Laetitia Avia. 

Pour la secrétaire générale d’Hadopi, Pauline Blassel, il est important de «ne pas lâcher sur la souveraineté en ayant la liberté de demander aux services de se mettre aux règles fixées ». Pour elle, face à la diffusion de fake news se pose la question du «curseur entre droit et liberté et maintien de l’ordre public. On est obligé de trouver un équilibre qui implique des renoncements». Benoit Tabaka, directeur des relations institutionnelles et des politiques publiques de Google France entend porter l’attention sur la régulation et «la problématique des fake news et de la désinformation qui ne sont pas illégales. L’équilibre est à regarder attentivement ; cela ouvrira le champ à de nombreuses discussions». 

La régulation doit avoir lieu «de façon transverse» en mobilisant notamment l’observation. Ainsi, Pour Pauline Blassel, «il est nécessaire que les pouvoirs publics montent en compétence sur des terrains techniques et technologiques». Des chantiers sont également évoqués comme celui de «la capacité à ouvrir la boite noire des algorithmes» explique Benoit Thieulin, ancien président du Conseil national du numérique. Il faut, selon lui, «une meilleure connaissance et régulation des algorithmes» avec «des ingénieurs, des linguistes, des juristes qui regardent et comprennent».  

Évoquant le risque bien présent de «s’enfermer dans des sous-ensembles de vérité partagés», Pierre Louette rappelle combien il est important «d’embrasser la contradiction». Laetitia Avia le confirme : «Internet est censé être un lieu d’information, de partage, pas un lieu d’enfermement». Aussi, pour Audrey Herblin-Stoop se posent, bien, de «vraies questions dans les législations en discussion sur la régulation d’Internet pour protéger une certaine vision d’Internet libre». Comment faire en sorte que la promesse d’Internet reste ?». Les candidats à la présidentielle ont 500 jours pour y répondre. 

Un combat

La villa numeris mène un combat de longue date contre les manipulations l’information. Promouvant un modèle ouvert et européen du numérique, le think tank réunit, depuis plusieurs mois, un groupe de travail sur ce phénomène et a émis des propositions en ce sens pour les institutions ainsi que pour les médias. Il proposera prochainement son plan d’action pour lutter efficacement contre ce phénomène par l’engagement de l’ensemble des acteurs concernés et des citoyens.

//. Replay vidéo des tables-rondes :

  • Ouverture de la matinée >> Regarder
  • Enseignements des crises et des élections >> Regarder
  • L’engagement des médias >> Regarder
  • La mobilisation des pouvoirs publics >> Regarder
  • Les solutions à mettre en place >> Regarder

//. Pour aller plus loin :

  • Nos grands témoins >> Voir
  • Interview de Damien Fleurot, chef du service politique de CNews >> Regarder

//. Partenaires :

 

Avisa Partners est une société d'intelligence économique et de cybersécurité

 

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